Pour le début de Hanoucca, j’ai décidé de publier ce carnet de photos prises au printemps dernier. Samedi le 5 mai, des milliers de juifs hassidiques de la communauté Belz, mais aussi d’autres communautés hassidim ont convergé vers le Mile-End à Montréal pour célébrer la venue du rabbin Yissachar Dov Rokeach, père spirituel de la communauté Belz.
Une grande marche nocturne d’environ une heure a suivi la célébration qui s’est déroulée dans une grande tente érigée dans un stationnement d’une épicerie du Mile-Ex. Plus de 6000 personnes ont ensuite accompagné le cortège du Rabbin vers sa résidence temporaire de la rue Querbes dans le quartier adjacent d’Outremont.
Les juifs hassidiques du Mile-End
Habitant à proximité du lieu de rassemblement, j’avais déjà entendu des chants quelques jours auparavant. Ces chants inhabituels avaient piqué ma curiosité. Après quelques recherches rapides, j’ai appris la tenue de cet événement semblant être d’une grande importance pour les communautés hassidiques de la région de Montréal et aussi de New York.
Je me suis donc dirigé autour de 22h vers le lieu de rassemblement. Des centaines de gens étaient confinés à l’extérieur faute de place dans le stade temporaire. Je n’ai d’ailleurs pas pu y entrer non plus (après avoir vu ces images https://youtu.be/b-1346CQRE0, j’aurais dû insister un peu plus…).
Je me suis promené au sein de la foule de plus en plus nombreuse. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre de la réaction des gens face à ma présence et surtout face à la présence de ma caméra. Mis à part quelques passants et les policiers venus pour assurer la sécurité, j’étais pas mal le seul qui n’était pas de la communauté.
À ma grande surprise, les gens étaient très chaleureux et même loquaces. J’habite le quartier depuis plus de 15 ans et j’ai passé plusieurs mois en Israël. Les relations avec les gens des communautés hassidiques sont toujours empreintes d’une certaine étrangeté. J’emploie le mot étrangeté sciemment puisqu’on semble, au-delà de la cohabitation, être étranger l’un à l’autre.
Outre quelques sourires isolés ou quelques mots échangés avec des commerçants du coin, c’est un peu comme si une invisibilité mutuelle nous séparait, comme si deux dimensions se côtoyaient sans vraiment faire partie du même espace.
Lors de ce rassemblement, cette frontière invisible, cet espace si proche et si lointain qui, au quotidien, semble souvent infranchissable, cet espace s’est dissous dans l’esprit de fête qui régnait.
Même si, cette fois, c’est moi qui détonnais avec ma veste de jeans et ma casquette, j’ai pu me fondre avec la foule. Sans être anonyme par contre. Les regards trahissaient un peu de surprise, mais aussi de la curiosité. J’y ai eu plusieurs conversations. D’innombrables sourires, mais aussi plein de questions. « Pourquoi prenez-vous des photos? » Pour qui prenez-vous des photos? » « Pourquoi êtes-vous ici? » « Êtes-vous juif? » Des femmes m’ont même interpellé en me disant : « Vous pourriez arrêtez de prendre les hommes seulement en photo et nous prendre aussi! » Le ton était un peu moqueur, mais aussi un peu sérieux. Elles voulaient être prises également en photo. Plusieurs voulaient des portraits, voulaient des photos avec leurs enfants.
Certains m’ont même donné leur courriel pour que je leur envoie la photo plus tard. Je dois dire que le premier qui m’a donné son courriel m’a un peu surpris. Comme si j’avais intégré que c’était impossible de communiquer, comme si le mode de vie des hassidim rejetait l’entièreté de notre modernité. La réalité est bien plus complexe. On a tendance à confondre les hassidim avec le rejet de la modernité un peu comme les amish. Ce n’est pas le cas. En tous cas pas entièrement. En dehors du Sabbat, ils sont sur leurs cellulaires, font des affaires, utilisent les outils et les moyens technologiques que nous utilisons.
Des mondes parallèles
C’est un monde sur une autre orbite. Mais, peut-être qu’il obéit à certaines règles communes, à un univers commun.
Depuis un certain temps, lorsque j’ai l’occasion, je continue à documenter mon quartier et les communautés hassidiques en sont une couleur importante. J’espère pouvoir continuer avec quelques relations nouvelles à construire.
Petite anecdote en terminant, j’avais échappé mon portefeuille sans m’en rendre compte pendant que je prenais des photos. À la fin de la soirée, je reçois un texto me demandant si, par hasard, je n’avais pas perdu mon portefeuille. Un homme l’avait trouvé et avait fait quelques recherches en ligne pour finir par trouver mon site web. En discutant avec un ami, qui par un heureux concours de circonstances, avait été une de mes premières longues chaleureuses conversations, ils ont fait le lien avec moi. J’avais donné mon numéro de cellulaire à cet homme en début de soirée pour qu’il m’envoie son courriel et que je puisse lui faire parvenir les photos que j’avais prises de son fils. Il m’a tout de suite reconnu sur mon permis de conduire et m’a texté. Je l’ai rappelé et il m’a conduit avec sa voiture à la synagogue où l’homme qui avait trouvé mon portefeuille me l’a remis. On a jasé un peu. Il était tard et nous étions tous fatigués. Un peu curieux, un peu méfiant, il m’a dit : « J’ai vu votre compte Instagram, vous prenez beaucoup de photo d’hassidim… Pourquoi? » Je lui ai répondu que ça faisait plus de 15 ans que j’étais dans le quartier et que j’aimais bien documenter la vie et le quotidien de celui-ci. Que les hassidim en étaient une partie importante. Il m’a regardé un peu interloqué. Nous nous sommes serré la main et je suis allé me coucher complètement déstabilisé par cette soirée hors du commun et par ces milliers de personnes présentes pour célébrer la venue d’un rabbin.
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