Entre décembre 2017 et mars 2018, j’ai eu l’occasion de travailler sur quelques projets de photos au Mexique. Je vous présente une série de trois articles sur mon travail à propos des ateliers de misère de la région de Tehuacán dans l’état de Puebla. J’ai écrit une série d’articles se voulant être est une petite fenêtre sur les dessous des industries du vêtement au Mexique.
Les nouvelles formes de l’exploitation dans les ateliers de vêtement à Tehuacán
Le Mexique n’échappe pas aux dynamiques instaurées par le néolibéralisme. Des changements profonds transforment actuellement les rapports sociaux et les structures encadrant le travail. L’article précédent abordait le contexte général dans lequel évolue le modèle des maquiladoras. Mes deux séjours à Tehuacán m’ont permis d’observer l’éclatement partiel de ce modèle. Comme dans les pays riches du Nord, les modes de production sont en pleine transformation. L’informatisation et l’introduction d’outils de gestion perfectionnés ont occasionné l’émergence d’une décentralisation de la production. L’émergence d’ateliers de sous-traitance est en forte progression.
Plusieurs des grosses manufactures locales font maintenant appel à de petits ateliers artisanaux pour fournir des éléments de leurs productions ou pour traiter les surplus de commandes.
Depuis quelques années, un nouveau phénomène de sous-traitance est en émergence dans l’industrie du vêtement de Tehuacan. On trouve des centaines de ces ateliers de fortune dans les maisons, les cours intérieures privées, parfois même dans des gymnases d’entraînement ou dans des églises. Des offres d’emploi tapissent les rues et ruelles de la ville.
Un peu partout à travers la ville de Tehuacán, on peut voir des affiches devant des maisons privées. Les ateliers maison pullulent.
J’ai eu la chance de pouvoir entrer dans trois de ces ateliers.

Un fil à la fois
Quatre femmes sont au travail dans un atelier de coupe de fil, avec à leurs pieds, deux petites filles qui jouent et passent le temps. La cour intérieure de leur demeure est transformée en atelier de jeans. Le toit est en taule, comme pour la maison d’ailleurs. Les jouets parsèment le sol.
Le travail consiste à couper des fils de jeans. Toute la journée, couper des fils. Couper des fils qui dépassent des coutures faites dans un autre atelier. Un autre atelier plus haut dans l’échelle informelle de la chaîne de production. Un atelier avec des machines à coudre. Ici, il n’y a pas d’équipement, il n’y a pas de machines à coudre. Ici on est au bas de la chaîne et ça parait. Ici, on est au degré zéro du travail de l’industrie du vêtement au Mexique.
Pourtant, les travailleuses ont l’air heureuses. Questionnées, elles affirment préférer travailler ainsi comparativement à l’usine. Elles préfèrent leur autonomie, le fait de pouvoir rester à la maison avec les enfants. Elles ont travaillé précédemment dans les usines et elles ne supportaient plus la pression pour la production. Cependant, travailler à la maison veut dire un salaire moindre et des responsabilités accrues en termes de santé et sécurité au travail. Elles sont payées à la pièce, 0,80 pesos par jeans (5 sous canadien).
L’atelier est intergénérationnel. C’est dans ce genre d’ateliers qu’on y trouve principalement la persistance du travail des enfants. Dans ce cas-ci, ils servent de courriers entre les ateliers.
À travers les piles de jeans, la conversation continue. Les rires, les blagues, l’atmosphère est détendue. Malgré les conditions de travail difficiles engendrées par cette sous-traitance, elles semblent visiblement plus heureuses que les travailleuses en usine. Une réflexion commence à émerger à propos de cet éclatement de la division du travail. Une réflexion qui se poursuivra tout au long des autres visites d’atelier.
Entre temps, le fils aîné arrive de l’école. Il attendra patiemment la fin de la journée de travail de sa mère. Pour nous, c’est la fin de la visite.
Savoure l’instant
Savoure l’instant était le slogan de Coca-Cola en 2017. Pour notre deuxième visite d’atelier, nous sommes monté un cran plus haut dans la chaîne de production. Ici, on coud. À ce moment, on y cousait principalement des uniformes pour le personnel de Coca-Cola. L’atelier était sombre. Le faible éclairage au néon était ponctué de rayon du soleil qui filtrait des rideaux et des lumières des machines à coudre. Des petites mousses de fils à coudre jonchaient le sol. Des fils électriques pendaient de partout.
Une petite fille est venue visiter sa mère qui travaillait. Lorsque la porte s’est ouverte, on pouvait voir le contraste frappant entre dehors et dedans. Elle portait un masque pour ne pas être affectée par la poussière. Elle venait dire bonjour et est repartie aussi tôt.
Les piles de chemises Coca-Cola étaient partout, sur les tables, le plancher, dans des pièces réservées à l’entreposage et dans la cour intérieure. Tout le premier étage était dédié à la confection de vêtement. Une dizaine de personnes faisait partie de l’équipe. Le propriétaire de la maison était également le propriétaire du petit atelier de fortune. Quand nous lui avons demandé ce qu’il faudrait le plus améliorer à l’égard des conditions actuelles de travail, il a répondu l’argent. Plus d’argent. Les travailleurs et les travailleuses ricanaient et acquiesçaient. L’atmosphère semblait aussi détendue que dans l’atelier précédent.
Tranquille au chaud
Pour terminer notre documentation des ateliers de fortune de Tehuacan, nous avons eu droit au nec plus ultra du fabriqué chez soi. Un atelier propre avec un peu plus de lumière. Cependant, comme dans l’atelier précédent, les fils électriques pendait de partout et jonchent le sol. Les machines à coudre étaient plus récentes et il y avait beaucoup moins de poussière. Ça faisait plus pro, mais ça restait un premier étage de maison.
On voyait aussi que l’atmosphère était plus sérieuse. Le travail ne s’arrêtait pas pour nous. Tout au long de notre présence, les travailleurs et les travailleuses continuait à bosser. Dans cet atelier, on fabriquait aussi des uniformes pour d’autres employés. Cette fois-ci, ils étaient bleus. Rien d’évident au niveau de la marque au premier regard. On fabriquait aussi des manteaux pour des gardes de sécurité. La demande doit être forte au Mexique pour des uniformes de gardes de sécurité…
Le bleu des vestes était éclatant et le tissu en polyester reflètait une lumière qui baignait l’atelier du halo. La jeune femme à l’entrée faisait penser à la dentellière de Vermeer.
Je disais qu’au premier regard, on ne remarquait pas de marque particulière pour les vestes. Ce fut seulement au retour, en développant les photos, que je me suis apperçu des boîtes Gildan qui jonchaient le sol.
Pour vos souvenirs, Gildan a déjà employé près de 10 000 personnes au Québec il y a de cela pas très longtemps. Avec la fin des protections tarifaires, ils ont fermé leurs usines et les ont déplaçé vers des cieux plus favorables à la maximisation des profits.
Sur le site de Gildan, l’entreprise se vante d’être un citoyen corporatif exemplaire et de participer au développement. Leurs usines seraient des exemples de modernités. Peut-être. Mais, une chose est certaine, c’est que nulle part on ne fait mention du travail dans les ateliers de fortune.
Vérification faite, la commande venait d’une usine de Montero au nord du Mexique. Aucun lien direct apparent avec Gildan (avec les moyens que j’avait pour vérifier). C’est à l’image de cette nouvelle façon d’organiser le travail. Les gros sous-traitent au moyen, qui sous-traitent au petit. Très difficile de remonter le fil (sans faire de mauvais jeu de mots).
Pendant que le salaire moyen d’une personne travaillant dans l’industrie du vêtement au Mexique est de 200 pesos par jour (13$ canadien), les bénéfices nets de Gildan ont été de 74,3 millions de dollars en 2017.
La suite à venir
Je travaille actuellement sur un autre carnet à propos des usines de vêtement de Tehuacán.
Le premier était à propos du contexte et le troisième sera à propos des impacts environnementaux des industries de vêtement. Vous pouvez voir l’article à propos du contexte ici : Le Mexique des ateliers de misère Vous pouvez voir les albums complets à propos des ateliers et mes autres projets, cliquez ici. Pour voir l’atelier de coupe de fils, cliquez ici Pour voir l’atelier des chemises Coca-Cola, cliquez ici Pour voir l’atelier avec les boîtes de Gildan, cliquez ici
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